Les phosphates que nous avons bannis



Lundi 6 janvier 2014


Il fut un temps où l’on déclara la guerre aux phosphates : les lessives contenant des phosphates devaient être interdites car elles  contribuaient à la dégradation de nos eaux, la culpabilisation médiatique fut intense : les fabricants de ces adjuvants « préféraient leur intérêt au détriment de la sauvegarde de l’environnement » ! Ainsi les phosphates disparurent presque totalement de nos lessives.

A priori cette chasse aux phosphates était raisonnable car avec les nitrates ces sels sont responsables de l’eutrophisation des lacs, des cours d’eau et même des rivages marins. Une eau riche en nitrates et phosphates est favorable au développement des algues, celles-ci à leur mort alimentent en sub-surface une importante activité microbienne qui consomme l’oxygène et rend le milieu anoxique.

A posteriori pourtant, ce bannissement aurait mérité plus ample réflexion ; en effet, quand on modifie un paramètre qui intervient dans un équilibre biologique, il en résulte des modifications qui peuvent aller à l’encontre des résultats que l’on souhaitait. Ainsi des chercheurs* se sont intéressé à l’évolution, depuis 1960 à nos jours, des teneurs en phosphore et en azote de 12 lacs de taille variée. Ils ont constaté ceci :

1) Chez 10 des grands lacs contrôlés :
     - la teneur en phosphore total de leurs eaux a fortement baissée consécutivement  à la raréfaction de cet élément dans les eaux usées entrantes ;
        - la teneur en azote de leurs eaux a paradoxalement augmentée  malgré une réduction sinon une stabilisation des apports azotés dans les eaux usées entrantes. Comment s’explique ce paradoxe ?
La baisse de la teneur en phosphore, élément limitant de la prolifération des algues, fait que le lac n’est plus en conditions d’eutrophie ; il n’y a plus assez d’algues pour utiliser les nitrates disponibles, leur teneur dans l’eau  va s’accroître à mesure que les algues se raréfient du fait du déséquilibre N/P.
Il faut savoir en effet qu’un lac  envahi par les algues est un piège pour les nitrates ; lorsqu’elles meurent elles précipitent au fond du lac, l’azote organique qu’elles contiennent est d’abord minéralisé tant qu’il subsiste de l’oxygène, mais dès que le milieu devient anoxique des bactéries anaérobies vont produire une dénitrification. L’azote retourne dans l’atmosphère sous forme du gaz que nous connaissons.

2) Chez 2 lacs plus petits la teneur en azote diminue ou reste stable cette différence avec les grands lacs pourrait s’expliquer par un renouvellement plus rapide des eaux ainsi que par une disponibilité élevée de phosphore provenant des rives environnantes qui favoriserait un niveau de dénitrification élevé.

La raréfaction du phosphore consécutive aux limitations de cet élément dans les lessives et sans doute dans l’usage des engrais phosphatés, aboutit finalement à « des eaux claires mais sales » (c’est le titre adopté par le présentateur** de l’article) parce que riches en nitrates. Il aurait fallu, simultanément, réduire les apports de phosphore et d’azote.

*J.C. Finlay et al. Science, 11octobre 2013, N°6155, pp. 247-250.

**E. M. Bernhardt, Science, 11 octobre 2013, N°6155, pp. 205-206.



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