Quelques éléments pour comprendre la démographie.

 Mardi 5 Mars 2024

 La démographie est l’étude quantitative de l’évolution des populations humaines, mais ses méthodes peuvent aussi être appliquées à d’autres espèces. C’est une science complexe qui fait appel aux mathématiques supérieures (calcul des probabilités, calcul intégral) d’où le rejet qu’elle suscite à beaucoup d’entre nous. Peut-on, sans être un mathématicien avancé, en tirer la « substantifique moelle » ? Ce sera la tentative de ce billet.

La notion la plus simple à comprendre est celle de la croissance d’une population. Si :

        - P0 est l’effectif de la population au temps T0

          - P1 est l’effectif de la population au temps T1

        - N le nombre de naissances entre  T0 et T1

          - D le nombre (Nb) de décès entre T0 et T1

        - SM le solde migratoire (Nb d’immigrés moins Nb d’émigrés entre T0 et T1)

 On a :                 P1-P0 = N-D +SM

Si T1-T0 = 1 an,  la croissance annuelle de la population française par exemple est facilement calculable puisque l’on peut connaître chaque année, à partir des relevés des états civils : le nombre de naissances N, le nombre de décès D ; et que immigration et émigration SM font aussi l’objet de documents de contrôle. Cette croissance devrait être publiée chaque année par les médias en détaillant le nombre de naissances, de décès, le nombre d’immigrés et d’émigrés ; malheureusement le nombre réel d’immigrés n’est pas connu car une immigration incontrôlée existe et ne peut figurer dans les chiffres.

Mesurer la croissance de la population ne suffit pas ; il faut encore connaître son effectif et sa structure par âge et par sexe ; ceci fait l’objet des recensements. Autrefois les recensements étaient faits périodiquement (tous les 10 ans) sur toute la France par l’INSEE. Depuis 2004 les recensements sont faits par les communes : tous les 5 ans pour les communes de moins de 10 000 habitants, par échantillonnage pour les communes de plus de 10 000 habitants. Il se fait en janvier et février de sorte qu’en fin d’année la commune disposera des données du recensement et de celles de l’état civil.  Le regroupement des données fourni par les communes permet de connaître la population totale de la France au moment du recensement mais aussi d’établir la pyramide d’âges de la population, c’est-à-dire le graphique qui détaille le nombre d’hommes et de femmes pour chaque classe d’âge de la vie ou cohorte : 0,1, 2, etc. (âges compris de 0 à 1 an, de 1 à 2 ans, de 2 à 3 ans, etc.)

Enfin, en combinant les données du recensement de l’année A à celles du nombre de naissances et de décès par classe d’âge relevés à la fin de l’année, on peut calculer pour chaque classe d’âge c et chaque sexe :

- Le taux de mortalité :

MAc = Nb de morts de la classe d’âge c / Nb d’individus au recensement de cette classe

- le taux de survie :

SAc = Nb de survivants de la classe d’âge c / Nb d’individus au recensement de cette classe 

- le taux de fécondité pour le sexe féminin :

             BAf = Nb de naissances de la classe d’âge f de procréation / Nb de femmes de cette classe d’âge.

Les taux SAc et BAf sont intéressants pour les démographes car ils permettent de calculer (dans le cas ou leur variation reste faible au cours du temps) l’évolution de la population masculine et féminine les années qui suivent le recensement.

l’indicateur conjoncturel de fécondité est la somme des taux de fécondité BAf par classe d’âge des femmes en âge de procréer de l’année A (de 15 à 50 ans). Il est égal, en 2024, à 1,8 nettement inférieur au taux 2,1 considéré comme le taux de stabilité d’une population (intuitivement un couple pour être remplacé doit avoir 2 enfants, mais il nait moins de filles (0,976) que de garçons (1,024), pour que toutes les mères en âge de procréer soient remplacées il faut un indicateur conjoncturel de fécondité supérieur à 2 soit 2,1 ; alors la population ne décroitra pas). Dès maintenant la population française diminuerait si ce n’était une compensation due à une espérance de vie très élevée donc un vieillissement de la population et une forte immigration.

La connaissance de la population réelle de notre pays souffre de deux lacunes : la méconnaissance de l’immigration incontrôlée et l’estimation par échantillonnage au recensement des communes de plus de 10 000 habitants.              

En quoi les herbivores s'opposent aux restaurations végétales ?

Lundi 5 Février 2024


La restauration de milieux dégradés ou le monde vivant ne peut plus se développer est quelquefois nécessaire, par exemple en montagne si l’on veut limiter l’érosion. La restauration peut aussi être aussi une volonté écologique de restitution d’un écosystème. Le monde vivant ne pouvant se développer qu’en disposant d’une source d’énergie, on va commencer par restaurer la végétation qui capte par photosynthèse l’énergie solaire et la transforme en énergie chimique (sucres). Cette énergie sera ensuite distribuée par les herbivores à tout l’écosystème.

On considère qu’un milieu peut retrouver sa couverture végétale par propagation naturelle si on supprime les causes de dégradation (déforestation, agriculture, invasion de plantes exotiques). La régénération est dans ce cas naturelle ou passive. On peut aussi semer des graines ou planter des arbres, la régénération est alors active.

La réussite d’une régénération végétale passive ou active nécessite une bonne adéquation des espèces végétales au milieu physique (sol, climat, disponibilité en eau), à l’environnement humain, mais l’expérience montre aussi qu’un facteur déterminant du succès est le contrôle de l’herbivorie (néologisme que nous garderons ici et qui signifie la consommation des végétaux par les herbivores). Des chercheurs* ont analysé des tests expérimentaux conduits dans 64 pays et ayant fait l’objet de 451 publications pour évaluer, sur des parcelles en restauration, l’effet des herbivores lorsqu’ils sont exclus, lorsqu‘on en ajoute, ou que l’on réintroduit des prédateurs. Nous donnons ici leurs principales conclusions.

Bien que les herbivores réduisent l’abondance de la végétation sur des sites naturels (32%) leur action est beaucoup plus importante sur des sites en restauration (52%) ; de ce fait la restauration y est plus lente et incomplète et nécessite souvent un contrôle des herbivores.

Alors que les herbivores augmentent la biodiversité dans les écosystèmes naturels en affaiblissant la compétitivité des espèces dominantes, ils la réduisent dans les sites en restauration. Cela tiendrait au fait que la productivité y étant moindre, les populations de plantes sont plus faibles ce qui facilite leur suppression.

Les écosystèmes dégradés se caractérisent par un plus grand nombre d’herbivores généralistes. Ils réduisent la diversité en supprimant très tôt les espèces de plantes qui se développent successivement.

Le climat (températures et pluviométrie moyennes annuelles) a un rôle modérateur clé sur l’effet des herbivores dans les sites en restauration alors qu’il est peu influent sur les sites non dégradés. Les températures élevées accroissent généralement  l’herbivorie ; la diversité spécifique est aussi affectée dans les sites en restauration lorsque le climat est chaud et sec.

La taille des herbivores joue un rôle important dans les milieux naturels pour le maintien des prairies ; leur exclusion y favorise le développement des arbres. Cet effet est exacerbé dans des sites en régénération. En outre les espèces natives y sont favorisées par rapport aux espèces exotiques.

En définitive la gestion de l’herbivorie doit être prise en compte dès que l’on envisage de régénérer un site dégradé. Il faut exclure ou réduire la présence des herbivores de grande taille en installant des barrières ou en les détournant, utiliser des insecticides contre les insectes herbivores ; ceci est valable pour les sites en restauration de petite taille. Pour les sites très grands il faut réintroduire les prédateurs.

 

*Changlin Xu et al. Science, 3 novembre 2023, N°6670, pp.589-592.


Les constellations de satellites.

 

Vendredi 5 Janvier 2024

 

Il s’agit d’un très grand nombre de petits satellites dispersés autour de la terre sur des orbites basses (entre 160km et 1000 km d’altitude) par plusieurs tirs de fusée, chaque tir emportant plusieurs satellites.

Ils répondent aux besoins de réfléchir des ondes électromagnétiques (ondes hertziennes)  émises par une station terrestre vers des récepteurs répartis sur toute la terre  (télévision, internet)  ou, réciproquement, par des émetteurs terrestres vers une station d’analyse (géolocalisation) ; enfin ils peuvent émettre ces ondes, ils servent alors de coordinateurs à l’intérieur même d’une constellation, ou bien ils envoient eux-mêmes des informations aux stations terrestres. Ils ont l’avantage de couvrir des zones difficiles d’accès et pour cela ils doivent être présents tout autour de notre planète. Leur présence en croissance démesurée fait l’objet d’une étude critique*  dont nous extrayons ici les principales informations.

Actuellement 4500 satellites de Starlink et 630 de OneWeb sont fonctionnels en orbite basse, mais le nombre de constellations de plus de 10 satellites ayant fait l’objet d’un dépôts à l’Union Internationale des Télécommunications (IUT) en attente d’une affectation de longueur d’onde a cru de manière exponentielle entre 2017 et 2022. A partir de données provenant de cet organisme, 300 constellations d’au moins 10 satellites  ont été déposées ce qui représente plus d’un million de satellites. Parmi elles,  90 auraient plus de 1000 satellites, 33 plus de 5000 et 8 plus de 10 000. La plus grande est Cinnamon-937 avec 337 320 satellites. Les dépôts ont été faits par la Chine (65), les Etats Unis (45), mais aussi le Rwanda (constellation Cinnamon-937), l’Allemagne, l’Espagne, la Norvège et la France.

Ces prises de position à l’IUT ne signifient pas que ces constellations seront toutes mises en orbite. Les Etats ou les Sociétés qui font les dépôts ont plusieurs stratégies en tête : faire une demande supérieure aux besoins afin d’attirer des investisseurs ou vendre des droits au spectre, accumuler des droits au spectre qu’ils pourront utiliser ensuite.   

La zone orbitaire basse de la terre risque d’être encombrée par un nombre considérable d’objets : satellites opérationnels, satellites abandonnés, corps de fusées résultant de tirs anciens et plusieurs milliers de débris détachés sans aucune trajectoire connue. Les morceaux de grande taille peuvent retomber au sol, ils sont potentiellement dangereux pour ceux qui y vivent ; les satellites opérationnels émettent de la lumière, leur trajectoire trace une ligne blanche sur les photos célestes prises la nuit au préjudice des astronomes. Enfin tous ces objets perturbent la radioastronomie par leurs pollutions électroniques.

Les auteurs de l’article pensent que les dépôts excessifs de demandes pour des constellations de satellites en vue de leur affecter une bande spectrale, est un problème. Mais il peut être résolu par l’IUT qui est en capacité de mettre à jour ou créer de nouvelles règles avec ses 193 Etats membres. Lors des précédentes Conférences Internationales relatives aux Radiocommunications des exigences concernant les mises en orbite de constellations satellitaires ont été adoptées : quel est le fabricant des satellites et quel sera l’organisme qui réalise le lancement (1997), dates limites de lancement de chaque fraction de la constellation après le premier dépôt de demande à l’IUT (2019), limites de la densité du flux émis et limites sur la déviation de l’altitude de trajectoire (2023). Cependant pour arrêter cette inflation de dépôts il faudrait des règles plus strictes : limites du nombre de satellites par constellation, taxes sur les dépôts.

 

*Andrew Falle et al. Science, 13 octobre 2023, N°6667, pp.150-152          

La niche écologique.

Mardi 5 Décembre 2023

 

Un individu est adapté au milieu dans lequel il vit ; c’est-à-dire qu’il  y trouve les conditions physiques (écarts thermiques, hygrométriques, éclairage), chimiques (salinité du sol pour les plantes, concentration en oxygène pour les animaux par exemple) et biologiques (nourriture) qui lui permettent de vivre et de se reproduire. Il occupe une niche écologique c’est-à-dire le lieu où toutes ces conditions sont à peu près réunies. Je dis « à peu près » car il possède pour chacune de ces conditions une possibilité au moins temporaire de survivre lorsque l’une de celles-ci s’éloigne quelque peu de la norme. Un renard par exemple peut survivre quelques jours sur ses réserves s’il ne trouve pas au jour le jour une de ses proies pour se nourrir. On peut imaginer mathématiquement chaque composante de la niche comme une dimension de celle-ci, l’ensemble de ses composantes étant un espace à n dimensions.

Précisons maintenant comment on peut caractériser une dimension de cet espace ; intéressons-nous au comportement d’un groupe d’individus de la même espèce (une orge sauvage par exemple : Hordeum murinum) sur une prairie naturelle de quelques ares environ (pour fixer les idées) dans lequel la teneur en eau du sol varie d’un lieu à l’autre. Quadrillons cet espace en sous espaces de 10 m2, mesurons la teneur moyenne en eau du sol pour chaque sous espace et comptons le nombre de plants d’Hordeum qui y vit. Si nous portons, sur un plan de coordonnées, en abscisse la variation croissante de la teneur en eau du sol et en ordonnées au nombre d’individus présents sur chaque sous espace, l’ensemble des points relevés permet d’établir une courbe qui traduit la capacité d’exploitation de l’eau du sol par ce groupe d’avoine sauvage. C’est une courbe en cloche (courbe de Gauss) qui caractérise la niche de l’espèce Hordeum sativum pour la teneur en eau du sol. Elle en donne en effet l’amplitude (minimum et maximum d’eau supportables)  et l’optimum (sommet de la courbe) là ou pousse le plus grand nombre de plants.

Sur le même espace, intéressons-nous à une autre espèce (la folle avoine : Avena fatua par exemple), si l’on établit aussi la courbe qui donne la relation entre la teneur en eau du sol et le nombre de plants de folle avoine dans chaque sous espace comme il a été fait précédemment pour l’orge sauvage, on obtient aussi une courbe en cloche de Gauss mais celle–ci pourra être décalée par rapport à celle de l’orge : à gauche si l’espèce résiste mieux à la sècheresse, à droite si elle a besoin de plus d’eau. Si les deux courbes se chevauchent partiellement c’est que, dans cette zone, leurs besoins en eau sont voisins et, dans ce cas, elles entrent en compétition. Si les deux courbes se  chevauchent totalement c’est que leurs besoins en eau sont identiques, la compétition est absolue et l’une des deux espèces peut éliminer l’autre.

La richesse en espèces d’une niche écologique est d’autant plus grande que chacune de ses dimensions n’oppose pas de limites au développement de certaines d'entre elles. Prenons le cas de la température si en saison froide la température de la niche devient fortement négative -40°C par exemple il ne pourra pas y avoir, dans ce milieu, d’espèces qui ne supportent pas ces températures. Nous aurons une végétation arctique et des animaux adaptés à ces froids : ours blancs, pingouin etc. La richesse biologique d’une niche est ainsi déterminée par la présence d’un facteur limitant dans l’une de ses dimensions. Les besoins du monde vivant, étant limités par des contraintes physiques, chimiques et biologiques, les  niches les plus riches se trouvent dans les zones tropicales là où leurs dimensions s’accordent le plus largement aux besoins de la vie.

La pollution lumineuse

Lundi 6 Novembre 2023

 

La pollution lumineuse est l’ensemble des effets négatifs produits par la lumière artificielle émise en période nocturne pour prolonger les activités humaines. Sa partie non contrôlée éclaire des zones extérieures naturelles qui seraient normalement à l’obscurité, elle peut être néfaste par son excès de brillance, par son spectre lumineux lorsque les longueurs d’ondes émises sont courtes (lumière bleue). Elle produit au-dessus des villes un dôme lumineux que l’on sait peu propice aux observations astronomiques.

L’ensemble du monde vivant est adapté au cycle lumineux solaire ; celui-ci a induit chez la plupart des espèces un rythme biologique journalier dit « circadien » La pollution lumineuse va altérer les signaux lumineux naturels et donc modifier le fonctionnement biologique qui s’était établi à la suite de l’alternance : nuit-jour. La revue Science consacre, dans son numéro du 16 juin dernier,  une étude bibliographique à ce sujet ; nous nous contenterons ici d’en extraire les principales observations qui ont été recueillies sur l’espèce humaine*.

On a très longtemps pensé que l’œil était uniquement l’organe du sens de la vision ; la rétine, expansion du nerf rétinien, est en réalité le siège de deux systèmes sensoriel interconnectés.  

-  La voie optique primaire, par ses cônes (vision diurne et colorée) et ses bâtonnets (vision crépusculaire et nocturne : noir et blanc), envoie des signaux sur la lumière environnementale à la région du cerveau responsable de la vision et des réflexes visuels,

- La voie rétinohypothalamique, par ses cellules ganglionnaires photosensibles contenant un pigment la mélanopsine, envoie des informations sur la lumière et l’obscurité au noyau du cerveau qui régule les rythmes circadiens, la sécrétion de la mélatonine (hormone de régulation des rythmes circadiens), les réflexes pupillaires à la lumière, la physiologie du sommeil, l’alerte et l’humeur.

Ces deux systèmes n’ont pas l’efficacité lumineuse optimale à la même longueur d’onde ; le premier, celui de la vision, a un optimum à 555 nm (nanomètres)  proche du rouge, le deuxième a un optimum de 480nm dans le bleu. Par ailleurs si sur une exposition de 6,5 heures à la lumière artificielle la voie optique primaire agit sur le cycle circadien et la sécrétion de la mélatonine ; au-delà, pour des expositions plus longues, c’est la voie rétinohypothalamique qui seule intervient   

L’être humain peut se protéger contre les effets de la pollution lumineuse externe, celle-ci n’affecte que les autres espèces vivantes ; peut-il être affecté par la pollution lumineuse qu’il produit pour ses propres besoins ? Nous sommes exposés de manière croissante à la lumière artificielle le soir jusqu’au coucher par les ordinateurs, les téléphones portables, la télévision, l’éclairage intérieur et éventuellement extérieur ; l’exposition excessive à la lumière artificielle fatigue les yeux, elle peut être à l’origine d’insomnies provoquées par des troubles du rythme circadien, de la suppression de la sécrétion de la mélatonine, d’anomalies du comportement (irritabilité) et d’anomalies physiologiques (battements du cœur, température du corps) enfin une baisse des performances cognitives, et psychomotrices. L’utilisation de plus en plus fréquente des LED, sources de lumière très brillante mais émettant dans le bleu c’est-à-dire dans les longueurs d’ondes auxquelles sont sensibles les cellules ganglionnaires de l’œil, questionne sur leur effet négatif possible.

 

*K. M. Zielinska-Dabkowska et al. Science, 16 juin 2023, N°6650, pp.1130-1135     

Les terres abandonnées, que deviennent-elles ?

 Jeudi 5 Octobre 2023


Si vous vous promenez dans la campagne vous remarquerez facilement des terres à l’abandon dont la culture a cessé. En montagne vous pouvez même discerner les vestiges de murettes soutenant d’anciennes terrasses qui ont été cultivées il y a longtemps. Mais l’abandon ne concerne pas que l’agriculture, on a abandonné des mines non rentables ou épuisées, des usines dont les produits ne correspondaient plus à la demande ou étaient trop chers, des pans de forêt. Que deviennent ces espaces abandonnés ? Des écologistes* se sont interrogés sur leur devenir ; voici leur principales observations.

L’abandon, selon les auteurs de l’article, correspond à la fin des activités humaines sur un espace quel qu’il soit alors que l’on n’avait, pour référence, que la fin des activités agricoles considérées acquises après 5 ans d’absence de culture. Depuis 1950, 400 millions d’hectares de terre environ ont été abandonnées, le phénomène est plus important dans l’hémisphère nord ou la dépopulation rurale a été très forte, où l’intensification agricole a contraint à l’abandon de terres pauvre, difficiles d’accès. Des contraintes dues à la dégradation du milieu physique peuvent aussi en être la cause : érosion, volcanisme, inondations, pollutions.

Comment l’abandon redessine-t-il le milieu naturel ? Alors que l’on veut soustraire de nouvelles zones à l’activité humaine pour accroître ce milieu, la réponse à cette question est primordiale. En fait l’effet est variable.

Sur une terre intensivement cultivée, appauvrie en biodiversité, sur une forêt surexploitée, sur une zone minière, disons sur une zone non construite, l’abandon est positif. Il bénéficie à la forêt et à la végétation par réensemencement provenant des espèces végétales les plus proches, il bénéficie aussi à l’habitat des oiseaux et à celui des invertébrés, il y aura un ensauvagement passif avec retour des grands herbivores et carnivores qui étaient présents dans le voisinage le plus proche. Toutefois un retour à la situation préexistante, avant la conversion agricole puis l’abandon, ne sera pas atteint passivement même après des siècles, et les terres abandonnées ne retrouvent pas leur statut initial.

Il peut être négatif lorsqu’il existait un équilibre entre une culture de subsistance humaine et un milieu naturel très peu affecté. La coévolution entre l’espèce humaine et le milieu naturel a créé une grande hétérogénéité d’habitat. L’abandon peut alors conduire à une perte d’espèces locales rares et à une homogénéisation du milieu.

L’abandon peut favoriser le développement de plantes invasives, il peut aussi produire un glissement vers de nouvelles communautés qui n’ont rien à voir avec la situation antérieure à l’activité humaine. Enfin le paysage va se refermer et rendre plus difficile la lutte contre les incendies qui à leur tour vont produire des cascades de modifications de la diversité spécifique. D’une manière générale la biodiversité peut tout aussi bien s’accroître que diminuer.

Comment accompagner un abandon de terres vers une biodiversité optimale ? Les auteurs ne donnent pas de réponse à cet important sujet. Ils font état du peu de travaux qui lui ont été consacrés ne serait-ce que par une cartographie globale sur l’étendue et la persistance de l’abandon ou l’importance et la direction de l’effet de l’abandon sur la biodiversité. Ils  invitent à leur meilleure prise en compte dans le futur.

*Organa N. Daskolova & Johannes Kamp, Science 12 Novembre 2023, N°6645, pp. 581-583. 

Phytophagie.

Samedi 5 Août 2023

La phytophagie concerne toute les espèces qui se nourrissent de plantes ou sucent leur sève. Il faut remarquer tout de suite qu’elles sont le passage nécessaire entre les capteurs d’énergie et de micronutriments que constituent les plantes et les espèces prédatrices qui se nourrissent précisément de ces phytophages (le loup mange la brebis qui se nourrit d’herbe). Nous ne parlerons pas dans ce billet des insectes qui sont des herbivores majeurs et qui nécessiteraient un développement plus long.

L’herbivore est confronté à un monde végétal immobile et très diversifié. Il doit « cueillir » sa nourriture et pour cela sa denture s’est adaptée à cette contrainte. Il peut être ainsi brouteur s’il choisit les feuilles et les jeunes pousses de plantes arbustives ou pâtureur s’il se nourrit d’herbe. Sa denture est adaptée à la section de l’herbe ou des jeunes pousses : incisives tranchantes à chaque mâchoire (cheval, chèvre) ou absence d’incisives à la mâchoire supérieure permettant une forte préhension de l’herbe et son arrachement (vache). Autre particularité des herbivores, leur tube digestif est adapté à une nourriture végétale indigeste, il est long avec des poches (rumen des bovidés par exemple) dans lesquelles l’herbe est soumise à l’action de bactéries qui assurent une part de sa digestion. Le bol alimentaire s’y déplace lentement, permettant ainsi une digestion plus complète du végétal

L’herbivore ne détruit que partiellement la plante dont il se nourrit mais il l’affecte sérieusement et cela d’autant plus s’il revient consommer  l’espèce qu’il préfère. Les relations entre l’herbivore et les plantes sont ainsi des relations de coévolution. Les plantes ont évolué en créant des organes ou des substances qui repoussent l’herbivore, l’herbivore peut avoir acquis des protections contre les obstacles qui le contraindraient à éviter la plante qu’il préfère.

La plante peut s’opposer au phytophage en développant des structures physiques : les épines par exemple sont d’excellents protecteurs, mais d’autres caractères rendent sa consommation plus désagréable et plus indigeste telles que le revêtement des feuilles par une couche cireuse épaisse, ou par une forte pilosité. La défense biochimique est la plus efficace, la plante synthétise des composés secondaires qu’elle stocke et qui sont très toxiques ou indigestes. Ils sont de trois sortes : des composés azotés, des terpènes, et des phénols.  

Dans les composés azotés, on trouve : les alcaloïdes (morphine du pavot, nicotine du tabac extrêmement toxique) ; les amines (un ou plusieurs atomes d’hydrogène de l’ammoniaque NH3 est remplacé par un groupe carboné) sont malodorantes ; les glucosides cyanogènes libèrent l’acide cyanhydrique CNH très toxique (dans les amandes amères par exemple).

Les terpénoïdes comprennent : les mono terpènes présents dans  les huiles essentielles (très odorants) ; les di terpènes que l’on trouve dans les latex et les résines végétales (toxiques) ; les saponines présentes dans les solanacées (solanine de la pomme de terre, très toxique).

Les polyphénols : la lignine présente chez toutes les plantes arbustives car indispensable à leur structure est très indigeste, les tannins précipitent les protéines, notamment les protéines salivaires dénaturant ainsi le goût.

Le phytophage choisit les plantes dont les défenses ne constituent pas un danger pour lui, il peut même avoir acquis une insensibilité à certains composés toxiques. La plante au contraire s’est maintenue en créant de nouvelles molécules qui contrarient la phytophagie.

A partir de ces informations élémentaires, on peut concevoir que l’espèce humaine ne peut-être un herbivore strict. Les végétariens sont contraints d’apporter à leur nourriture des compléments protéiniques et vitaminés présents de manière plus concentrée dans la nourriture carnée.   

La domestication de la vigne.

Lundi 3 Juillet 2023


Nos espèces domestiques ont beaucoup changé depuis que l’être humain, au Néolithique, a inventé l’agriculture. Elles sont passées du stade naturel sauvage au stade d’adaptation aux besoins agricoles et humains. Cette transformation s’est faite à partir de prélèvement dans les sources situées aux centres d’origine des espèces, d’améliorations génétiques, enfin elles ont été transportées  et échangées par l’homme. Que s’est-il passé avec la vigne ; des chercheurs* ont essayé, à partir d’analogies génétiques, de retrouver d’où viennent les cépages qui sont utilisés maintenant et comment ils se sont diversifiés au cours du temps. Nous allons donner ici les principales étapes de ce parcours.

La vigne que nous cultivons Vitis vinifera est une espèce monoïque et hermaphrodite (les fleurs de chaque pied  portent à la fois les éléments mâles qui fournissent le pollen et femelles qui fournissent les ovules), elle est aussi auto fertile c’est-à-dire qu’elle se féconde par son propre pollen. On sait aussi que Vitis vinifera provient d’une espèce sauvage : Vitis sylvestris ; mais celle-ci est dioïque, il y a des pieds mâles qui fournissent le pollen est des pieds femelles. Il est sans doute apparu, à un moment donné, des pieds monoïques chez cette espèce sauvage qui est la source de notre espèce cultivée. Notons que cette possibilité est fréquente chez les espèces dioïques ; ainsi le Kiwi cultivé est une espèce dioïque, sa culture se fait en mélangeant des pieds mâles parmi les pieds femelles ; mais on vend aussi des variétés monoïques qui n’ont pas besoin de pollinisateurs.

Pour établir les différentes étapes du processus de domestication les chercheurs ont utilisé 2503 clones de V. vinifera et de 1022 clones de V. sylvestris provenant de tous les pays où la vigne est cultivée. Sur chacun on a, par séquençage de l’ADN, recherché le polymorphisme mono-nucléotidique et les insertions ou délétions bi alléliques (altérations de l’ADN sur de courtes séquences) ; c’est sur cette variabilité qu’est basée l’étude. 

Comment a évolué V. sylvestris ? L’espèce s’est scindée en deux branches au paléolithique il y a 200 000 ans. La source orientale comprend des écotypes sauvages provenant du Caucase et de l’Asie Occidentale (Jordanie, Liban, Syrie, Israël, Anatolie Turque) la source occidentale comprend des écotypes sauvages provenant de l’Europe Centrale et de la Péninsule Ibérique. La source orientale s’est à son tour scindée il y a 56 000 ans à la fin du paléolithique en deux branches Syl-E1 et Syl-E2.

Selon les auteurs de la publication, la source occidentale de V. sylvestris, peu diversifiée, n’est intervenue dans la domestication que par introgression (prélèvements par croisements dispersés dans le temps  de gènes dans une population source). La source orientale, avec le climat humide du début de l’holocène il y a 11 000 ans, s’est  le plus diversifiée et  répandue de l’Asie centrale à la péninsule Ibérique. C’est à elle que nous devons les V. vinifera que nous cultivons aujourd’hui. De la sous branche orientale Syl-E2 on a extrait le groupe cultivé GC2 de vignes à vin du Caucase ; de la sous branche orientale Syl-E1 on a extrait le groupe cultivé GC1 des vignes de table largement distribué en Europe occidentale, le groupe cultivé GC3 de vignes de table et de vignes à vin largement distribué dans l’Europe occidentale et au proche orient, le groupe cultivé GC4 de vignes à vin des Balkans, le groupe cultivé GC5 de vignes à vin de la péninsule Ibérique et le groupe cultivé GC6 de vignes à vin d’Europe occidentale. Les auteurs notent qu’il n’y a pas eu extraction des vignes à vin des vignes de table ; dès le départ leur origine était différente (GC1  et GC3), la publication insiste sur la dualité des sources.

On peut s’étonner tout de même, du fait de la richesse en variétés cultivées de vignes de la France, l’Italie et l’Espagne, que l’Europe occidentale ne doive sa viticulture qu’à des apports orientaux ; la source occidentale de V. sylvestris était-elle si pauvre que les agriculteurs du néolithique n’y ait pas puisé ? Ou a-t-elle été sous représentée dans l’étude ?

 

*Yang Dong et al. Science 3 Mars 2023, N°6635, pp. 892-901

Le bien-être animal.

Lundi 5 Juin 2023

L’animal de la ferme, considéré d’abord comme une richesse matérielle inerte qui ne perçoit ni la douleur ni l’émotion, a subi au cours du temps, selon le bon vouloir de ses propriétaires, des traitements pouvant être extrêmement dommageables. Ce n’est que récemment que la demande publique s’est émue de ces comportement et a exigé l’amélioration du bien- être animal. En 2015 la France reconnaissait l’animal comme un être vivant doué de sensibilité. L’Europe a édicté les « libertés »  qui sont dues à l’animal pour assurer son bien-être et qui sont en fait l’opposé de ce qui est source du mal être animal :

Libertés relatives à sa santé physique :

-         Satisfaction de la faim et de la soif,

-         Absence de maladies et de blessures,

Libertés relatives à sa santé morale :

-         Absence de stress et de douleur

-         Absence d’inconfort

Liberté de comportement

-         Sa vie doit se rapprocher de ce qu’elle serait en milieu naturel.

Faut-il aller plus loin ?

Des chercheurs* s’intéressent à ces questions. Ils considèrent d’abord que le comportement dans un milieu naturel est une mesure médiocre de leur bien-être. La vie dans la nature est brutale, l’animal peut-être une proie, il ne sera pas soigné s’il est malade ou blessé, sa mort peut-être une longue agonie. « La vie dans la nature ne prend pas en compte ce que l’animal désire, il reflète simplement son état momentané ». Il se cache car il sent le danger, il recherche la nourriture car il a faim, il a froid en hiver et chaud en été. Son bien être momentané est court, il essai de l’améliorer continuellement. L’analyse doit donc aller plus loin.

Si la plupart des animaux de ferme ont des comportements innés, la sélection les a rendus plus flexibles en agissant davantage vers ce qui est bon pour eux ; il ne s’agit pas de réaliser un comportement mais d’avoir une récompense ou une punition à la suite de celui-ci. L’animal peut apprendre à  utiliser des actions non naturelles pour obtenir une récompense. L’exemple intéressant qui est donné est celui de la vache qui appuyant avec son museau sur un bouton, va mettre en mouvement une brosse qui frottera son dos. L’animal ne réalise pas ici ce que pourrait être à l’état naturel le comportement inné de brossage contre un arbre ou un buisson, en fait ce qui compte pour lui c’est la récompense associée au toucher du bouton.

Connaître ce que l’animal perçoit comme récompense ou punition permet de définir ce qu’est pour lui le bien-être.  Le chercheur peut trouver ainsi des stimuli non naturels que l’animal considère comme bons ; mais aussi il peut comparer les difficultés qu’aura l’animal pour obtenir les récompenses ; enfin il peut définir des états de bien-être négatifs, ceux qui produisent douleur ou inconfort alors que l’animal est contraint de les réaliser, ceux qui anticipent la douleur, ceux qui entraînent une frustration car ne donnant pas la réponse attendue.

Le bien-être de l’animal de la ferme n’est finalement pas un retour à la vie naturelle mais une situation plus complexe où l’inné bien que présent est  nuancé par les conditions de la vie domestique.

*Maryan Stamp Dawkins, Science, 27 janvier 2023, N° 6630, pp. 326-328

L'écologie politique

Vendredi 5 Mai 2023

 

Voyons d’abord ce qu’est l’écologie pour mieux cerner ensuite ce qu’est l’écologie politique.

L’écologie est l’étude des interactions entre les organismes vivants et leur environnement physique et biologique. C’est une science ; en ce sens, elle soumet ses objets d’étude à l’observation, à l’énoncé d’hypothèses et à l’expérimentation de façon à mettre en évidence des lois sur leur fonctionnement et même échafauder des théories. Elle s’appuie sur d’autres sciences : les mathématiques, la statistique, la physique, la biologie et notamment la théorie de l’évolution.

L’écologie se divise en plusieurs branches :

Elle s’intéresse d’abord  à l’individu. Comment est-il adapté à son milieu, comment en utilise-t-il  les composants, ses réactions aux changements climatiques, les limites qui entravent son fonctionnement. Tout ceci concerne l’Ecologie Physiologique.

L’individu vit en groupes qui rassemblent plusieurs individus de la même espèce. L’étude des relations entre individus du groupe, de l’évolution du  groupe sous l’effet de contraintes extérieures ou intérieures constitue l’Ecologie des Populations.

Les populations de différentes espèces coexistent à un même lieu elles peuvent se combattre : prédations, ou s’entre aider : symbioses. L’étude des relations à l’intérieur de ces groupes ou écosystèmes constitue l’Ecologie des Communautés.

En un même lieu peuvent se juxtaposer plusieurs écosystèmes, que se  passe-t-il à leur limite? Ceci concerne l’Ecologie des Paysages.

Peut-on réparer des systèmes naturels endommagés par les activités humaines ? C’est le domaine de l’Ecologie de Restauration.

Enfin, le milieu exerce une pression sélective sur les individus. Elle va favoriser certains phénotypes qui auront  des descendances plus nombreuses, et défavoriser les autres ; ces réponses évolutives dépendent de la variabilité génétique présente dans la population. Comment chaque individu va faire face au défi que lui pose la sélection naturelle pour se maintenir et même  assurer une place prépondérante dans son espèce, tel est le sujet de l’Ecologie Evolutive.

Nous devons bien séparer l’écologie des Sciences Environnementales qui s’occupent de l’impact des activités humaines sur le milieu naturel : dérèglements climatiques, pertes de biodiversité, pollutions etc.

Nous arrivons maintenant  à l’écologie politique qui rassemble en fait deux termes difficilement compatibles. « Ecologie » désigne une science et donc associé à une rigueur de raisonnement, « Politique » est relatif à l’étude de l’organisation d’un état et du déterminisme de son fonctionnement. Il fait partie des Sciences Humaines chez lesquelles l’expérimentation est difficile sinon impossible.

L’écologie peut-elle être la caution de la valeur d’un système politique ? Difficilement, car ce que l’on y étudie n’a aucune relation avec les systèmes de gouvernement des Etats.

Ce que l’on pourrait associer au terme « Politique » est : « Sciences Environnementales » ; le contenu de ces dernières pouvant servir à justifier le choix d’un système politique dont l’impact de l’activité humaine sur le milieu naturel est le plus faible. On nommerait alors « Environnementalistes » ceux qui veulent  lier le politique à la défense du milieu naturel. Cela obligerait à mieux connaître le contenu de l’écologie au sens strict et celui des sciences de l’environnement.