Mercredi 6 Juillet 2022
La prise en compte morale de la douleur animale est récente. Il a fallu progresser dans la neurophysiologie pour comprendre que la sensibilité n’était pas réservée à l’espèce humaine mais qu’elle était présente chez les animaux proches de l’homme et d’une certaine manière chez les poissons et les crustacés. A partir d’un article* de la revue Science nous allons suivre la progression de la connaissance sur ce sujet.
On est parti de loin puisque, jusqu’en 1980, on pensait encore que la non expression verbale d’un ressenti (apanage de l’être humain) signifiait absence de ressenti ; les très jeunes enfants qui ne parlaient pas encore étaient donc insensibles à la douleur et de ce fait on pouvait les opérer sans anesthésie!
Pour tenir compte de la sensibilité (notamment à la douleur) des animaux proches de l’homme (mammifères), il a fallu séparer le ressenti de l’émotion. Le ressenti est un état conscient personnel qui n’est pas perceptible extérieurement et donc inaccessible à l’expérimentation ; l’espèce humaine grâce au langage peut faire état du ressenti ce qui n’est pas le cas des animaux. Les émotions au contraire sont mesurables physiologiquement ou au niveau neuronal. Le visage, chez l’homme, traduit les émotions par des contractions musculaires spécifiques que l’on peut retrouver chez les chimpanzés. Les espèces plus éloignées vont manifester leurs émotions de manière différente et l’on a découvert par exemple que la peur se manifestait par un abaissement des températures des extrémités aussi bien chez le rat que chez les êtres humains. Les physiologistes peuvent aussi étudier chez l’animal les aires du cerveau qui sont affectées lorsqu’il ressent de la peur, de la colère, du dégoût ou de l’attraction.
Les outils d’évaluation des réponses émotives se sont améliorés. Les chercheurs modifient l’environnement de l’animal : riche versus pauvre ou agité versus calme. Ils entraînent l’animal à ces stimuli extrêmes puis le placent dans un environnement ambigu, moyen. Ils peuvent alors juger l’approche optimiste ou pessimiste du stimulus par l’animal. On a ainsi montré que les environnements pauvres affectent négativement la vision du monde des mammifères et des oiseaux.
Les animaux sont particulièrement sensibles aux signes émotionnels de leurs congénères. Cela se traduit par des marques d’empathie au moyen de contacts corporels lorsqu’un de leur congénère est stressé. Il peut y avoir aussi des comportements synchronisés : Lorsqu’un individu du groupe a peur ou perçoit un danger tous les individus du groupe vont manifester de la peur et s’enfuir. Ces réponses seraient commandées par des mécanismes neuronaux.
Enfin, bien que l’on ne puisse démontrer que le ressenti des animaux supérieurs existe, leurs comportements émotionnels sont en faveur de son existence ; la science reconnait des similarités entre ces animaux supérieurs et l’espèce humaine en ce qui concerne la neurophysiologie, la connaissance, les émotions et le ressenti.
Qu’en est-il maintenant des poissons et plus éloignés encore des crustacés (crabes, langoustes et homards). Pour ces derniers on a, dans certains pays comme l’Angleterre, interdit de les plonger dans de l’eau bouillante en l’état vivant pour les cuisiner! On a très longtemps pensé que la réaction qu’ils manifestaient à un choc agressif était nociceptive c’est-à-dire une réaction réflexe qui implique seulement le système nerveux périphérique (analogue à la réaction de retrait que nous manifestons lorsqu’on touche un objet très chaud). Des expériences plus récentes ont montré cependant que poissons et crustacés ont une mémoire des expériences négatives et qu’ils évitent les lieux où ils ont subi ces expériences. Cette mémoire négative implique une décision prise au niveau du système nerveux supérieur.
Dès lors que nous reconnaissons que les animaux peuvent aussi avoir un ressenti (bien moins développé que le nôtre sans doute), ils ne peuvent être exclus, par convenance, de notre champ moral. Déjà des règles d’abattage ont été prescrites, et l’éducation au bien-être des animaux se développe mais on est loin encore d’un comportement général satisfaisant.
*Adam
J. Kucharski et Cheryl Cohen, Science
25 mars 2022, N°6587, pp. 1349-1350
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